Foire aux questions

L’association Evi’dence est partenaire de l’administration pénitentiaire depuis de nombreuses années à travers une activité de médiation par l’animal en milieu carcéral.
Dans le but d’échanger en permanence sur nos pratiques en milieu carcéral, de créer un partenariat dynamique avec les institutions,les partenaires,  de préciser sans arrêt les besoins spécifiques de ce milieu, nous ouvrons sur notre site internet, une rubrique « Questions-réponses ».
A partir des questions que vous pourriez encore vous poser au sujet de cet accompagnement particulier avec des animaux, nous vous assurons une réponse sous forme d’apports de contenus théoriques, réflexions, pratiques expérientielles, exemples concrets, témoignages, etc..
Mieux comprendre cette activité, contribuer à la développer au plus près des besoins des établissements et des détenus, créer une dynamique d’échange autour de la relation homme-animal au sein du milieu carcéral, créer un partenariat basé sur la transparence et l’échange sans jamais altérer la relation spontanée qui se crée entre l’homme et l’animal, seront les objectifs de cette rubrique.

Nous souhaitons vous inviter à poser vos premières questions en utilisant le formulaire en bas de cette page.

Nous nous ferons un plaisir d’y répondre dans un délai raisonnable.

Marie Thérèse 
Intervenante en médiation animale
Association Evi’dence

1. Qu’est ce que l’on attend du chien par exemple, qu’est-ce qu’il est censé faire ?

Cette question est récurrente et pose d’emblée le décor de la médiation par l’animal, tel qu il peut être perçu.
En effet, cette question laisse supposer qu’il y a obligatoirement une mission à remplir pour l’animal, un objectif défini pour lequel l’animal est utilisé. Or il en va du contraire ; un des principes fondamental de la médiation par l’animal est de ne jamais altérer, ni détourner, ni falsifier la relation qui s’instaure entre l’homme et l’animal.
Ainsi, la réponse pourrait s’intituler « on attend du chien qu’il se comporte comme un chien en présence d’un humain », avec tout le naturel, la spontanéité, l’absence de jugement dont les animaux font montre.
Si par contre, l’animal est trop dressé, utilisé, censé agir selon des directives enseignées, il perd de son naturel et le détenu ne fera pas l’expérience d’une rencontre désintéressée, sincère et non jugeante.
Cela inclut le fait que l’animal peut avoir quelques défauts, ne pas être parfait selon le sens commun, mais être vrai, unique, avec ses défauts et ses qualités.
Le détenu fera alors l’expérience du respect des caractéristiques de chacun, sans attentes, sans déception. Lui-même pourra se montrer sans fards, et envisager ses points forts et ses points à améliorer dans la relation à l’autre.

2. Est-ce que l’animal se rend compte qu’il est en prison ?

L’animal ne fonctionne pas selon des concepts comme les humains. Par exemple, le concept d’hier et demain sont des concepts humains, l’animal vit le moment présent.
De fait, le concept de la prison lui est étranger. Pourrait il se rendre compte de la nature même d’un établissement pénitentiaire et de ses occupants ? Non. Sait il que les détenus purgent une peine suite à un délit, Non. Ils sont en présence d’un être humain dans un contexte que nous qualifions de particulier mais que l’animal ne considère pas forcément comme différent de l’extérieur.
Pour autant, le bien être animal pendant l’activité en détention reste une préoccupation majeure pour l’intervenant. L’observation des signes d’apaisement d’un chien par exemple, nous renseigne sur son état émotionnel et apprend au détenu à respecter ces signes.
Un chien peut ne pas apprécier le bruit des lourdes portes en fer par exemple, non pas parce que c’est une porte de prison, mais parce que l’ouïe du chien est autrement plus développée que la nôtre : il perçoit des ultra sons et des bruits de très faible intensité, ce qui le rend particulièrement sensible aux bruits environnementaux. (Clefs, portes, écho des coursives, pas, éclats de voix, etc…)

3. Qu’est ce qui nous distingue des animaux ?

A priori, l’homme est un animal, un mammifère, qui se distinguerait par sa capacité à « imaginer des scenarii emboités et le besoin de partager ses pensée ». Il a aussi une capacité à anticiper le futur, qui lui serait propre. Il exprime sa pensée par le langage. Il a et exprime des émotions.
Depuis environ 25 ans, les animaux ont changé de statut juridique, philosophique et scientifique. Depuis février 2015 le législateur à introduit dans le Code civil, via l’article 515-14, le fait que les animaux sont des êtres sensibles.
Ainsi, les  émotions primaires (joie, surprise, dégoût, tristesse, peur, colère), se retrouvent chez l’animal de compagnie.
De nombreuses recherches sont menées sur le comportement des animaux, leurs aptitudes particulières et celles communes aux humains ( ouie, odorat, awarness, socialisation, etc..).
Cependant, ce serait bien la pensée humaine qui distinguerait vraiment l’homme de l’animal et qui lui permet d’être considéré comme « supérieur » à l’animal.

Très récemment, on retrouve une étude américaine dont je mets un extrait ci après et qui nous montre que les animaux n’ont pas fini de nous étonner :

« Malgré leur cerveau minuscule, les guêpes à papier possèdent d’étonnantes capacités d’apprentissage et de mémorisation. Elles sont également capables de faire des distinctions sociales entre leurs congénères. Dans une nouvelle étude, des chercheurs américains, qui étudient ces insectes depuis plus de 20 ans, montrent qu’elles peuvent aussi former des concepts abstraits.

La capacité d’abstraction est peu répandue dans le monde animal – en particulier les concepts abstraits de similitude et de différence. Des espèces sont capables de distinguer une chose essentielle d’une autre (reconnaître le cri de leur progéniture parmi d’autres, ou distinguer un aliment comestible d’un aliment toxique). En revanche, établir des ressemblances et des différences dans diverses situations, nécessite de faire appel à des règles abstraites. Peu d’animaux en sont capables, hormis les primates et quelques autres animaux réputés pour leurs niveaux élevés de sophistication cognitive (notamment les corvidés, les pigeons, les perroquets ou les dauphins). La guêpe à papier s’ajoute désormais à la liste. » (réf : https://www.science-et-vie.com/nature-et-enviro/guepe-capable-abstraction-90345.html)

4. Quel animal pour quelle médiation ?

Cette question est récurrente et arrive parmi les premières questions que se posent les personnes lorsqu’ils réfléchissent à la médiation par l’animal.
Il est clair que le chien et le chat sont les animaux les plus connus, les plus « communiquants », les plus à même d’établir une interaction positive avec une personne détenue en prison. De fait, revoir un chien en détention, alors même qu’il représente la vie à l’extérieur, celle là même qui a été perdue et celle que l’on espère retrouver, constitue un moment à part dans la détention.
Pour autant, les rongeurs ( lapins, cochon d’inde, rats, chinchillas,..) permettent d’élargir le champ de connaissances autour des espèces animales, et de découvrir d’autres êtres vivants avec leurs besoins propres.
Par ailleurs, être en contact avec des animaux « que l’on aime » et des animaux qu’à priori « on aime moins », permet de faire tomber les à priori, bousculer les connaissances, et expérimenter le respect d’un autre animal, différent, particulier, et par extension un autre être humain, différent, particulier.
Il n’est donc pas question, en médiation par l’animal, de « choisir » l’animal mais plutôt de proposer une rencontre entre êtres vivants de différentes espèces, êtres humains y compris…

5. Quels thèmes aborde t’on en séance de médiation par l’animal

La présence de l’animal provoque dans les premières séances un échange autour de cet animal : l’espèce, les habitudes, l’habitat, la morphologie, l’élevage s’il y a lieu, etc…on pourrait dire que les premiers échanges sont issus de l’observation, la confrontation aux croyances ou à l’expérience du détenu, l’apport d’éléments nouveaux ou résultats de la recherche.
Puis, les comparaisons peuvent arriver, et étendre le champ de la discussion aux animaux de la famille, des amis ou du voisinage, ou encore d’une émission télévisée.
D’autres thèmes sont vite abordés comme la notion de famille, de clan, d’appartenance, d’acceptation ou de rejet, de « bouc émissaire », « d’oiseau de malheur », de « brebis galeuse », de « chien enragé », « les chiens ne font pas des chats », etc..
Les croyances sont énoncées, se heurtent aux résultats de la recherche, nécessitent d’accepter la controverse, de respecter l’avis de chacun, de vérifier ses sources avant d’affirmer quoi que ce soit.
La notion d’obéissance et ses conditions sont revisitées. Il y a façon et façon d’éduquer. Que veut dire dresser un animal ?
La notion de punition voire de châtiment nécessite des reformulations, des exemples, l’apport d’expériences nationales et étrangères.
Le respect des besoins de l’animal : si le chien ce jour là ne cherche pas l’interaction, comment réagit la personne ? A-t-il conscience des signes qu’envoie l’animal, les respecte t il ? Pourquoi ? Si oui ou si non, Est-ce un comportement habituel ? Pourquoi ?
En réalité, les thèmes sont nombreux et variés.

6. Le rapport à l’animal

Tout comme à l’extérieur de la prison, le premier niveau de rapport à l’animal, en détention, peut spontanément s’orienter vers « j’aime » ou « je n’aime pas ».

Certains « aiment » les chiens, chats, lapins mais « n’aiment pas trop » les autres rongeurs, ou oiseaux, ou araignées.

Souvent « je n’aime pas » est associé à « je ne connais pas ». Cette prise de conscience d’un jugement arbitraire à partir d’une méconnaissance va porter leur attention sur leur façon d’entrer en communication en général, avec les êtres vivants, et va constituer la base d’un autre niveau de discussion et d’échanges, plus posé, plus réfléchi, moins jugeant à priori.

La séance de médiation par l’animal  permettra ainsi au bénéficiaire de  mieux se connaitre. D’ailleurs, certains détenus qualifient les séances d « étonnantes » et « interessantes » . En effet, là où ils pensaient « simplement » croiser un animal, ils ont découvert une facette de leur personnalité, une croyance erronée, un comportement inadéquat en société, une émotion cachée, une peur inavouée,une expérience marquante qui a déterminé un comportement, etc…

Il peut s’agir également d’évoquer et analyser ces croyances et les comportements associés à ces croyances.

 

7. La séance de médiation par l’animal comme un voyage ?

Si l’on admet qu’une séance peut s’appréhender sans but précis, sans enjeu majeur, force est de constater que chaque intervention est un voyage..
En effet, que dire de ces séances où nous réalisons le « voyage » entrepris, le « chemin » emprunté, les « mondes » traversés, les « univers » échangés, à partir d’un point de départ qui est l’animal et cette relation triangulaire animal-intervenant-personne incarcérée.
Aller là où l’inspiration nous mène, là où la préoccupation du jour peut s’exprimer, rebondir sur une idée qui fera le lit de la suivante, insister là où l’on se rejoint le plus ou là où le désaccord demande à être partagé voire là où la controverse anime l’échange, apprendre, découvrir, explorer, exprimer l’émotion tout en y incluant un animal.
Bien souvent, la fin de la séance signera la diversité et la richesse des partages, l’apport pédagogique, le côté « humain » que fait émerger l’animal, le « moment » particulier qui a été vécu.
Cela suppose que la personne détenue trouve un espace d’expression spontanée, qui le replace dans sa condition d’humain, d’être « vivant » en face d’autres êtres vivants, sans rien à prouver, rien à cacher, rien à surjouer.

Se reconnecter à des « moments » « comme dehors », spontanés, « libres » permet de se rappeler qui l’on est et pas seulement ce que l’on a été, ce que l’on a fait ou ce que l’on est censé faire ensuite.
La vie extérieure aussi est ponctuée de « moments » qui redonnent de l’énergie, rappellent qui l’on est, confortent nos choix, remettent du sens dans nos parcours.
La médiation par l’animal, peut, à certains égards, favoriser à l’intérieur d’une prison, ce type de moments qualitatifs.

 

8. La médiation animale, le cheval et le zugzwang…

Dans une séance de médiation par l’animal, les comparaisons, analogies, métaphores, viennent très naturellement au cours des échanges.

Le comportement animalier donne lieu à des réflexions sur sa propre nature, humaine, à priori. Il est question de « miroir » du comportement animalier pouvant dans bien des cas, amener la personne  à faire un point sur ses habitudes de comportement, entre autres, de comportements dits violents.

Pour apporter des éléments nouveaux à la réflexion, décaler la réflexion, prendre du recul, on peut aborder les animaux dits « de fuite » et en particulier les herbivores dont le cheval, qui ont intégré une « distance de fuite » ou d’une manière générale préfèrent fuir plutôt que d’aller à la confrontation. C’est ainsi que malgré ses 650 kilos de masse musculaire, un cheval imposant, va « fuir » devant un adversaire.

Ce comportement, pour un grand nombre de personnes est perçu comme une faiblesse, un manque de courage voire de dignité. Il s’avère que lorsque l’humain projette sur ce cheval ses propres attitudes, il méconnait le processus sous jacent, les « raisons » du cheval, sa stratégie réelle, son « instinct » de survie, son « choix ».

C’est une petite révolution pour certains de regarder les choses sous cet angle : pourquoi le cheval fuit il ? quel type de décision est à la base de ce choix ?

En réalité, le cheval intègre son acte de fuite dans une stratégie plus « globale ».Il ne répond pas à un instinct premier, immédiat, qui serait d’exercer sa force colossale et de neutraliser le danger. Il recherche le comportement le plus adéquat à ce moment là, privilégiant son propre confort, sa propre sécurité et ceux de son troupeau.

Bien évidemment, il ne craint aucun jugement extérieur, n’a rien à prouver et agit pour lui-même et ses congénères, sur le moment.

Lorsqu’une  personne détenue établit une comparaison avec le cheval, elle en est déroutée, déstabilisée : on en arrive à envisager que l’animal a « autre chose à faire que de se battre », est « au dessus des critiques », n’agit pas sur une impulsion, ne répond pas forcément à une pression / provocation extérieure, n’envenime pas une situation compliquée, redéfinit ce qui est essentiel pour lui à ce moment là et…passe à autre chose. De plus, il aura intégré ce moment dans une vision globale de recherche de sérénité pour lui même et ses congénères.

Observer son propre comportement à travers un comportement animalier permet d’enrichir la réflexion, ouvrir le débat, laisser à l’autre le choix de ses décisions, reconsidérer ses propres décisions et leurs conséquences, sans jugement aucun. C’est une autre contribution à la connaissance de soi, dans une séance de médiation animale.

Bien souvent, la pratique du « c’est comme quand l’animal….. », s’applique à d’autres domaines et ouvre encore davantage la palette des réflexions possibles.

Si l’on prend par exemple le jeu d’échecs, il existe un coup appelé le « zugzwang ». Il s’agit de ces situations où l’on est obligé de jouer (c’est la règle, c’est notre tour), on ne peut pas « fuir » au sens propre du terme, mais il faut en même temps garder une vue d’ensemble de la partie. Il s’agit d’un coup dit « perdant » car il va falloir avancer un pion en sachant que cela va faire « gagner » à l’adversaire une de nos pièces. Pire, on sait que coup là est perdant, c’est le seul possible pour le moment, il faut l’accepter et « voir plus loin », la partie n’étant pas terminée et tout restant à jouer, il faut garder à l’esprit que la perte sur le moment ne préjuge pas du résultat final.

Là aussi, il s’agit d’intégrer l’événement dans une stratégie plus globale, moins immédiate, moins impulsive, moins à la recherche du succès à tout prix.

Ce principe est un apprentissage pour certaines personnes détenues qui peinaient à considérer que ne pas répondre à une provocation ne veut pas dire perdre la face. (le cheval, lui, ne prend pas cet élément en considération, ne vit pas sous la crainte du  jugement d’autrui).

Peu à peu, au fil des séances, la notion de « perdre devant l’autre » peut prendre une autre tournure, une autre forme, une autre signification.

Regarder les choses par l’autre bout de la lorgnette, s’appuyer sur des domaines variés, élargir la perspective, favoriser la connaissance de soi,sans pression aucune, est définitivement un fil rouge dans la pratique de la médiation par l’animal en milieu pénitentiaire.

 

 

9. Où nous mène la question du taureau dans l’arène ?

Qui évoque le taureau, l’associe très vite à l’arène, à la corrida, à cette activité ancestrale qui donne à une foule en liesse, le pouvoir de vie et de mort sur un taureau déjà agonisant.

Il ne s’agira pas ici de débattre sur le bienfondé de cette activité, ni sur la maltraitance animale mais comme à notre habitude de regarder le sujet par l’autre bout de la lorgnette : qui sommes-nous lorsque nous souhaitons et applaudissons la mise à mort d’un taureau ? Qu’applaudissons-nous en réalité ?

Tout d’abord, voyons le contexte :

  • Le taureau en question est un artiodactyle avec des caractéristiques particulières.
  • Par exemple, sa masse corporelle et son système de régulation de la température le rendent particulièrement enclin à l’épuisement physique.
  • Le taureau est un animal social, qui seul devant un danger va appeler ses congénères et chercher à fuir. C’est seulement lorsqu’il n’a pas d’autre issue qu’il va adopter un comportement menaçant (souffler tête basse et gratter la terre), et c’est seulement si ce comportement ne fait pas disparaitre le danger, qu’il va finir par charger.
  • L’arène est ronde, ce qui empêchera le taureau de fuir dans un coin ; la porte par laquelle le taureau est entré est camouflée de telle manière qu’il ne puisse plus voir de sortie possible.
  • Les zones corporelles dans lesquelles le toréador plante ses pics sont des zones très sensibles à la douleur.
  • L’ouïe est beaucoup plus développée que la vue chez le taureau ce qui provoque un grand stress lorsque l’arène est en effervescence.
  • Lorsque le taureau charge, en réalité il se défend de maintes et maintes provocations du toréador dans un contexte où on l’a empêché de fuir ( cf la question sur le cheval).

En résumé, pour arriver à nos fins lors d’une corrida, il semble bien que la nature du taureau ait été étudiée sur certains points qui vont être immédiatement détournés, dénaturés, pour en faire un spectacle et créer un vainqueur artificiel, un humain toréador.

Ainsi, on peut s’interroger sur qui nous sommes lorsque nous étudions les besoins, caractéristiques, habitudes d’un animal pour aussitôt, intentionnellement, lui retirer ses réflexes, ses besoins, afin de créer une situation artificielle qui doit le rendre agressif. Tellement agressif que cela justifiera sa mise à mort et de fait, la « victoire » acclamée du toréador.

Il faut avouer que la situation n’est pas banale. Il devient difficile de parler de courage, d’équité dans le combat, de loyauté sur l’adversaire, de respect de l’adversaire, de combat à armes égales, même si de tout temps, l’animal a été utilisé pour amuser l’être humain.

Lorsqu’un enfant vous demande « à quoi ça sert une corrida » ? …On pourrait imaginer un dialogue :

  • Ben, ça sert à lutter avec un méchant taureau et à le vaincre
  • Oui mais le taureau est d’accord ?
  • Ben un taureau ça ne réfléchit pas, et puis il est méchant, il aime se battre, regarde, il charge le cheval et le toréador
  • Oui mais le taureau est tout seul et il ne peut pas fuir, ce n’est pas juste
  • Ben si on le laisse fuir il n’y a plus de spectacle
  • Ah donc c’est pour regarder quelqu’ un qui gagne contre un animal  ?
  • Non mais regarde, si on laisse le taureau faire c’est lui qui tue le toréador et le cheval
  • Mais si on ne le met pas dans l’arène, il ne tuera personne si ?
  • Oui mais il n’y aura pas de spectacle, pas d’argent et les gens ne seront pas contents et le toréador sera au chômage

On peut presque percevoir la pauvreté conceptuelle des réponses. Encore une fois il ne s’agit pas de prendre parti, mais toujours et encore de faire réfléchir sur le bien fondé de nos actions voire de nos divertissements.

En l’occurrence, ici, l’analyse des conditions dans lesquelles on met le taureau pour qu’il perde afin de s’en approprier la victoire, nous amène, en séance de médiation animale, à donner un éclairage nouveau à la question de qui nous sommes lorsque nous acceptons le statut et les éloges d’un vainqueur alors que le combat a été pour le moins inégal et/ou orchestré d’avance.

Nous touchons alors les problématiques de l’ego, de l’intégrité, de l’honnêteté, du courage, de l’image de soi, de l’image que nous renvoyons, intentionnellement ou non, de la « justice » ou de l’ « injustice » et la personne détenue peut, si elle le souhaite, apprendre à se « regarder fonctionner », ou vérifier qui elle est à ce moment-là, qu’est ce qui occasionne ses agissements, agit-elle en fonction de ses valeurs profondes ou suit-elle la tendance du moment, l’injonction générationnelle, la pression sociale ?. etc…

10. Pourquoi dit-on qu’il y a des moments magiques en séance de MA ?

Un intervenant en médiation par l’animal est à la fois un témoin privilégié et partie prenante de moments qualifiés de « magiques », lors d’une séance.

Bien involontairement, tout à coup, intervenant, animal, personne détenue, surveillants « fabriquent » ensemble un moment suspendu, unique, un instant hors du temps, où tous se rencontrent quasi simultanément dans un espace hors du contrôle habituel, dans le fameux « ici et maintenant ». Chaque mot prononcé, chaque remarque faite, chaque intervention non verbale, chaque silence est incroyablement juste, sincère ; l’entrée en relation est possible, authentique, sans fards, l’ensemble est « magique » dans le sens où chacun est exactement à l’endroit qui lui convient dans la communication entre espèces.

Les animaux ont d’emblée ce sens du moment présent, accordés « corps et âme », simultanément à l’environnement extérieur et à leur état intérieur. Pour nous humains, c’est un apprentissage, une question d’humilité et d’authenticité.

Que dire de ces moments où la personne détenue se trouve dans un état émotionnel difficile et où, subitement, pendant qu’il se livre, l’animal stoppe toute activité, marque l’arrêt, tous les sens à l’affut, « comme s’il écoutait, comme s’il comprenait, comme s’il était solidaire de cette douleur exprimée ». La personne dispose alors d’un incroyable support d’expression de soi, à qui l’on peut tout confier en toute confiance. De même, lorsque l’animal est dans un jour moins faste, la personne détenue lui rendra monnaie de sa pièce et sera davantage attentionnée, davantage au plus près des besoins de l’animal. Ce type de rencontre est magique, également.

Dans ces moments là, le temps est suspendu, la prison n’existe plus, le comportement de l’animal sera au diapason du comportement de la personne et fera voler en éclats toute forme de solitude, d’abandon ou de déni de soi. L’intervenant sera attentif à tous, lui y compris, et en même temps laissera les choses se dérouler naturellement.

Que dire de ces chiens qui posent leur museau sur les genoux d’une personne en retrait, mutique, timide ou impressionnée. L’animal n’attend pas forcément quelque chose en retour mais la personne détenue se sent sollicitée, valorisée, remarquée, stimulée et bien souvent, sortira de sa réserve dans le moment ou plus tard.

Que dire de ces tourterelles qui viennent se poser subitement sur une personne en train de refaire un point sur une période de sa vie. Toutes affaires cessantes, elles se rapprochent, la personne les avait presque oubliées, toute à son discours, mais l’animal fait partie intégrante de cette relation et de ce climat qui s’installent, n’en rate pas une miette et participe à sa manière. La magie qui s’opère est alors une magie de réunification, comme si la relation qui s’installe ne pouvait être réelle et accomplie que lorsque tous les individus présents étaient interconnectés, de tout leur être.

De même, un animal peut faire un appel au jeu alors que la personne semble engluée dans des explications interminables et qui ne la mènent nulle part, comme pour l’en extraire. L’intervention de l’animal semble venir à point nommé, comme par magie.

Bien entendu, l’animal ne s’intéresse pas aux mots prononcés, mais à un rythme de respiration, à un ton de voix, à une « énergie » qui se diffuse, à une « ambiance », il décode du subtil, de l’invisible, du caché, du non verbal.

Coïncidences ? Magie ? Hasard ? peu importe l’appellation, toujours est il que l’animal est d’une aide précieuse pour faire expérimenter à la personne détenue un autre type de relation.

La magie réside alors dans la préciosité, la participation pleine et entière de chacun, dénuée d’intérêt, dénuée d’enjeux. La magie réside dans la rencontre de cette partie de soi capable d’une justesse de haut niveau dans l’échange avec autrui.

11. Pourquoi dit-on « Des animaux pour rester des hommes »?

Un des fondements de la médiation par l’animal stipule que deux individus malmenés par la vie, en l’occurrence une personne détenue et un animal maltraité ou abandonné, vont se rencontrer au plus près de leur souffrance, vont la partager, la « réparer » ensemble puis la transcender.

Ce postulat se vérifie chaque jour, immanquablement, inéluctablement.

Il n’est cependant pas coulé dans le marbre et comme de bien entendu, son contraire existe aussi.

Pour preuve, lorsqu’un animal en pleine santé, en pleine jeunesse, en pleine puissance rencontre une personne détenue, il se crée quasi instantanément une symbiose remarquable à bien des égards : l’énergie, l’appel au jeu, le besoin de bouger, jouer, échanger, le besoin de se dépenser, de s’amuser, de rire, modifie soudainement l’énergie ambiante en une énergie de vie partagée. L’animal va en quelque sorte chercher chez la personne détenue toutes ces facettes de sa personnalité qu’il avait enfoui en lui ou pour lesquelles il n’y avait pas d’espace d’expression en milieu pénitentiaire. En prison, l’on est plutôt triste, plutôt contenu, plutôt réservé, plutôt enfermé, plutôt dans l’attente et l’inaction.

Lorsque la personne détenue retrouve instantanément sa joie de vivre, son énergie, sa puissance, sa vivacité, sa force physique et mentale au contact d’un animal qui d’emblée « croit » en lui, le sollicite à ce haut niveau d’interaction et d’énergie, la personne détenue est propulsée au rang des êtres vivants, « libres »,dotés de multiples émotions, capacités physiques et intellectuelles. Il se laisse « embarquer » par l’animal dans un cercle vertueux, il partage et construit non plus seulement sur la souffrance de l’animal mais sur la confiance, le bien être. Il le fait sans réfléchir, sans enjeux, retrouve ou développe ainsi des habiletés personnelles et sociales qu’il avait tendance à oublier en détention.

Être une personne détenue et simultanément une personne vivante, se remémorer que lorsque l’on est censé pouvoir le moins, on peut finalement le plus, nous rappellent une des acceptions premières de la médiation animale en milieu carcéral : des animaux pour rester des hommes…

 

 

12. Mais qu’a-t-on voulu faire avec le chien/loup ?

Le chien, théoriquement descendant du loup gris a subi à travers le temps énormément de modifications génétiques pour des raisons d’ utilité, d’esthétique, de symbolique, d’accommodation au mode de vie humain.

De tout temps les chiens, domestiqués par l’être humain, ont servi ses besoins, ses lubies du moment.  Par exemple, à la fin du moyen âge, afin de pouvoir chasser avec des chiens à la fois puissants et rapides, on a croisé des lévriers ( les plus rapides au monde) avec des molosses (massifs et imposants), pour créer le Dogue Allemand qui aura donc les deux caractéristiques.

L’idée première a toujours été de diminuer l’agressivité du loup, de le domestiquer pour avoir une utilité. Le chien plus calme mais néanmoins vif, fort, aux sens développés, servira tantôt à garder (troupeau, maison,…), tracter (husky), rassembler un troupeau ( border collie), courir les compétitions ( lévriers, salons chiens racés), jusqu à atterrir sur le canapé de tout en chacun et devenir le compagnon idéal, « le meilleur ami de l’homme), aller au salon de toilettage et recevoir des soins énergétiques ou de confort. Ainsi, fortement « humanisé », le chien « fait partie de la famille ».

Il n’ y a donc quasiment plus de chien qui ne soit « transformé » pour convenir à l’être humain, pour pouvoir mener, non pas une vie de chien mais une vie de chien adapté à l’homme.

C’est ainsi que cet être vivant « humanisé » et dépourvu de ses caractéristiques premières, est devenu un être fragile, dépendant, subissant pléthore de mauvais traitements de celui là même qui a voulu le domestiquer.

L’amer constat de maltraitances notoires à l’encontre de l’animal domestique en général, a conduit le législateur à mettre en place une protection juridique puisque cet être vivant est reconnu comme « être doué de sensibilité » ( article 515-14 Code civil et article L214-1 Code rural).

Tout sévice et tout acte de cruauté envers un animal est donc un acte de cruauté envers un individu protégé par les textes, et par là même,passible d’une peine de prison.

Il est à noter que pour avoir le droit de vivre très près de l’homme, le premier caractère requis est la docilité. Preuve en est, le chien qui a eu le malheur de mordiller ou mordre un humain voire montrer les dents : il est aussitôt rejeté, euthanasié, ou enfermé pour rééducation. A ce moment là les théories fusent : « il a gouté au sang », « il avait du mauvais en lui », « il faut se méfier de ces chiens là » (particulièrement vrai pour les amstaff, pittbull, rottweiller, etc…),pour lesquels on a voulu garder la puissance, la forte mâchoire, mais qui ne devraient s’en servir que sur commande de l’humain. Quelque fois, il peut y avoir des dérapages du chien. On affirmera alors que l’éducation a été mal faite. Tout comme chez les humains devant un enfant dysfonctionnel, on incriminera d’abord l’entourage proche. C’est-à-dire que là encore on compare l’animal à l’homme.

La parfaite domestication ne souffre d’aucun débordement d’énergie, d’aucune fausse note dans la docilité.

On ne répètera jamais assez que le chien, bien que transformé génétiquement, n’est pas fait pour une petite promenade de 15 minutes de temps en temps, mais que l’énergie qu’il accumule doit être dépensée, et pour  poursuivre l’analogie avec l’humain : un enfant n’est pas fait non plus pour rester inactif devant un écran. Les écoles du chiot émergent, les psychologues pour animaux traitent les cas difficiles, les comportementalistes canins enseignent aux familles les bons gestes et comportements envers l’animal. La prise en charge est « humanisée », la prévention de la moindre morsure est envisagée.

Les propriétaires de chiens dépensent une fortune entre vétérinaire et éducation canine, sont ravis d’avoir un chien qui ne joue pas ( ne se dépense pas), ne va pas vers les autres (ne socialise pas), obéit au doigt et à l’œil, dort tard le matin, mange quelques croquettes sèches, ne se révolte pas.

On pourrait dire que le pari de faire du loup un animal domestique est gagné à tout point de vue…la race première a presque disparue, les descendants sont modifiés génétiquement, sévèrement sélectionnés, très proches de l’humain, comparés à l’humain….

Si l’on voit émerger des chiens sans poils, d’autres tellement minuscules que leurs pattes sont faibles, l’on est en droit de se demander : à quand le chien sans chien ? …

 

13. En quoi le lien entre l’homme et l’animal favorise-t-il l’insertion sociale ?

L’insertion versus intégration, exige la prise en compte de problèmes spécifiques concernant des groupes spécifiques pour lesquels il faudra des solutions spécifiques. Les autres, ceux qui sont insérés, donnent le ton : vie professionnelle, loisirs, vie familiale, forgent des individus insérés, relativement conformes, ayant des compétences sociales et émotionnelles et participant à la collectivité sans créer de désordre. Cet individu consentant accepte les conditions pour faire partie de la société et se comporte de manière à ne pas en être exclu, toutes proportions gardées.

L’individu qui ne se conforme pas, quel qu’en soit la raison, tombera sous le coup de la loi, en payera le prix (incarcération, sursis, mise à l’écart,..), puis à la fin de sa  peine, sera invité à se réinsérer ou s’insérer.

On parle de politique d’insertion, de dispositifs d’insertion en vue d’une intégration dans la société. (un revenu minimum d’insertion, un emploi stable, un accompagnement spécifique ( mission locale, ..), un contrat d’insertion en entreprise, etc.

Pour les non insérés, il s’agit donc de gravir quelques marches d’un escalier qui mènerait à l’ insertion. Ces premières marches constituent autant d’étapes, autant d’expériences, autant d’essais erreurs que nécessaires pour les bénéficiaires, en vue de ce but ultime.

Les approches pour y parvenir sont pluridisciplinaires et la médiation par l’animal, le lien entre l’homme, l’animal et un intervenant peuvent contribuer à ce parcours d’insertion.

Si l’on s’en tient à une étymologie de base, insérer veut dire « faire entrer dans », « introduire de façon à incorporer ». En cuisine on introduira un œuf dans de la farine de façon à faire disparaitre l’œuf et la farine pour créer intentionnellement un nouvel élément, une nouvelle texture faits des deux ingrédients mais ayant fait disparaitre la nature première des deux ingrédients de base…

L’insertion comporte une notion d’intentionnalité, « de faire rentrer (par la force s’il le faut », car la société ne saurait souffrir d’individus non « insérés.

En milieu carcéral, comme au sein d’une mission locale ou d’un collège en ZEP, les individus sont définis par leurs agissements délictueux, tout degré de gravité confondu. Il s’agit de les RE-mettre dans le droit chemin, de leur permettre l’accès aux filières classiques, à des comportements normés, acceptables, reconnus par la société. Il s’agit de les insérer ou de les réinsérer.

Cela peut être vécu par eux comme aliénant, intrusif, ne tenant pas compte de leur identité profonde, qu’ils continueront de défendre. Vouloir les « sauver » d’eux-mêmes peut donner l’effet inverse que celui escompté, créer des résistances, des comportements de révolte, la non-adhésion au dispositif.

La médiation par l’animal, bien au contraire, remet l’individu à sa juste place d’individu, sans attente particulière en première intention. Cet accueil inconditionnel qu’offrent l’animal et l’intervenant constitue une toute première marche, une toute première étape comme un point de départ, un ancrage à partir duquel on va pouvoir composer. La solidité de cet ancrage, le lien qui va s’établir, vrai, sans fards, authentique et sécure, va permettre à la personne de construire, se dire, se tromper, recommencer, de se découvrir et de prendre des décisions, en toute connaissance de cause.

Par là même, il va développer des compétences sociales qui lui seront utiles dans la société. Etablir un lien avec un être vivant tel qu’ un animal ou un intervenant, le respecter, tenir compte de ses besoins, accepter la différence, ne pas projeter sur lui ses propres envies, ne pas forcer un animal qui ne veut pas interagir, puis pouvoir parler de toutes ces prises de conscience avec un intervenant, prépare de futures interactions positives dans la société.

En médiation par l’animal, on va acquérir des connaissances sur des êtres vivants différents de nous, on va décrypter des comportements et les frotter à l’état des connaissances actuelles avant de juger sans savoir. Cette compétence-là, transposée dans les futurs liens avec des êtres humains, animaux et même végétaux « dehors », fera le lit d’interactions positives partagées et par là même, favorisera l’insertion.

En milieu carcéral, comme dans tout milieu fermé ou semi fermé, de telles expériences sont nécessaires pour contrer l’isolement, la stigmatisation, pour expérimenter d’autres façons d’être, d’autres façons de faire, pour apprendre à mieux se connaitre, prendre des décisions en se respectant et en respectant les autres, en somme, pour rendre reproductibles ces nouvelles compétences sociales dans de futurs environnements.

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